Histoire
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  • François-Xavier Ada

Tongori – L’air est sec et le soleil tape fort à Tongori, une petite ville située à l’est du Tchad, près de la frontière soudanaise. Sous l’ombre d’un acacia, devant sa nouvelle maison, Ache, sa fille Fatime, et ses petits-enfants tressent des ventilateurs faits de pailles en plastique pour les vendre au marché local. Ils font partie des quelque 80 000 Tchadiens vivant au Soudan qui ont fui le conflit et sont retournés au Tchad, dans l’espoir de redémarrer leur vie « chez eux ». 

Et pourtant, il y a à peine six mois, ils vivaient une vie paisible.  

Née à Matadjana, dans la province tchadienne du Wadi Fira, Ache a migré au Soudan dans les années 1990 où, jusqu’à récemment, elle était une éleveuse de bétail prospère. Sa famille possédait également une petite épicerie qui les aidait à subvenir aux besoins de leur fille et de certains de leurs proches de l’autre côté de la frontière.  

Mais leur paix a été bouleversée lorsque le conflit a éclaté au Soudan il y a six mois. Tandis que les violences se sont progressivement propagées à travers le pays et rapprochées de son village, Ache n’avait qu’une solution : fuir et rentrer « chez elle ». 

« Notre village était pris dans le conflit », se souvient-elle. Notre épicerie a été pillée et dès qu’il y avait des tirs d’artillerie lourde, ils nous tombaient dessus ».  

Terrifiée, elle a pris la décision de partir et de prendre le chemin de l’incertitude à la recherche de sécurité. « Nous avons payé un chauffeur 2 000 livres soudanaises (environ 3,33 dollars) par personne pour le périple à travers la frontière vers le Tchad », dit-elle. Ils ont conduit toute une journée depuis El Geneina au Soudan, vers Adré, à l’est du Tchad, à travers des villages détruits, et parfois même des « allées jonchées de cadavres des deux cotés ».  

Pendant des semaines, Ache et sa famille se sont réfugiés dans l’école secondaire d’Adré, devenue l’épicentre de la crise du déplacement, accueillant à un moment donné plus de 50 0000 Tchadiens de retour, réfugiés soudanais et ressortissants de pays tiers bloqués. 

Vue aérienne de l’école d’Adré à l’est du Tchad, qui accueille des dizaines de milliers de réfugiés et migrants de retour fuyant le Soudan. Photo : OIM/François-Xavier Ada 2023

Comme Ache et sa famille, la plupart des migrants de retour du Soudan se sont installés à divers endroits dans les provinces du Ouaddaï, du Sila et du Wadi Fira, qui bordent la frontière longue de 1 400 kilomètres entre le Tchad et le Soudan.  

Avec le soutien de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Ache s’est volontairement réinstallée à Tongori, une communauté située à une vingtaine de kilomètres de la frontière, où l’OIM et d’autres acteurs humanitaires mettent en place des abris de transition, des infrastructures d’eau, d’assainissement et d’hygiène et fournissent des services de protection afin d’aider les migrants de retour à se réintégrer au sein des communautés.  

« Tandis que la crise au Soudan s’aggrave et que les arrivées se poursuivent, nous devons repenser nos solutions à long terme », déclare Jonathan Baker, qui dirige la réponse d’urgence de l’OIM à l’est du Tchad. « La réinstallation depuis la zone frontalière est une première étape essentielle pour décongestionner les zones d’accueil et s’assurer que les migrants de retour sont en sécurité et ont accès aux infrastructures vitales. »

Le personnel de l’OIM aide les migrants de retour à charger leurs biens à bord d’un camion pour leur réinstallation depuis Adré près de la frontière entre le Tchad et le Soudan, vers la localité de Tongori. Photo : OIM/François-Xavier Ada 2023
Une femme monte à bord d’un camion avant d’être réinstallée depuis Adré. L’OIM aide à la réinstallation de plus de 6 000 migrants de retour depuis la frontière entre le Tchad et le Soudan. Photo : OIM/François-Xavier Ada 2023

Tongori est l’une des deux communautés à l’est du Tchad où l’OIM commence à mener à bien ces initiatives pour sortir de la réponse d’urgence et faire les premiers pas vers l’intégration à long terme des migrants de retour. Dans le cadre de ces initiatives, l’OIM et les acteurs humanitaires ont construit 1 000 abris de transition, six points d’eau et 30 latrines communes pour s’assurer que les personnes de retour du Soudan peuvent accéder à l’eau salubre et à l’assainissement. L’OIM et ses partenaires soutiennent également la responsabilité communautaire et les mécanismes de protection au sein de ces communautés.  

A Tongori, Ache a reçu un abri de transition qui offre un semblant d’intimité et de sécurité pendant qu’elle attend une solution d’hébergement à plus long terme. « Dès que nous entendions un avion, nous nous mettions à couvert car nous avions peur. Mais ici, nous nous sentons en sécurité », confie-t-elle.

Ache pose à l’intérieur de son abri construit par l’OIM. Photo : OIM/François-Xavier Ada 2023

Dans le même temps, tandis que le conflit s’intensifie, de plus en plus de gens continuent de fuir vers le Tchad, où les migrants de retour reçoivent un accueil mitigé. 

« Lorsque les migrants de retour arrivent, les communautés d’accueil ont la gentillesse de les accueillir et de partager leur nourriture et leurs ressources avec eux », explique M. Baker. « Toutefois, à mesure que la situation perdure, leur séjour prolongé risque de provoquer des tensions avec les communautés d’accueil qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts en raison de la montée en flèche des prix des produits de base.  

Les communautés d’accueil dans la région étaient déjà vulnérables en raison d’une crise humanitaire préexistante prolongée et d’années de sous-développement, ayant pour conséquence des places limitées dans les écoles, des marchés moins fréquents et moins d’hôpitaux et de possibilités de moyens de subsistance.  

Davantage d’efforts s’avèrent nécessaires pour investir dans des solutions durables qui intègrent la santé, l’éducation, les moyens de subsistance et les mécanismes de protection communautaires pour les migrants de retour, ainsi qu’un soutien pour les villages d’accueil voisins. 

Cependant, la réponse humanitaire à l’est du Tchad reste largement sous-financée. « Sur les 25 millions de dollars que nous avons demandés, nous n’en avons reçu que 6 pour cent, ce qui signifie que nous ne pouvons couvrir qu’une petite partie des besoins », ajoute M. Baker. « Si des fonds supplémentaires ne sont pas obtenus rapidement, nous risquons de faire face à une catastrophe humanitaire. »

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